Escalade en Dauphiné - France

Quel avenir pour les pitons en Grande-Bretagne ?

samedi 30 juin 2012 par Hervé Galley

Ce qui suit est une traduction résumée d’un article publié en décembre 2008 sur le site internet du British Mountaineering Council (BMC) et rédigé par Dan Middleton, "Technical Officer" du BMC. Le BMC est l’organisation représentative des grimpeurs et alpinistes en Angleterre. Il est considéré comme plutôt "traditionaliste" en matière d’éthique d’escalade.

Devons-nous continuer à utiliser les pitons comme ancrages à demeure, ou est-il temps de les retirer du service actif ?

James Titt est fabricant d’amarrages pour l’escalade et il a une longue expérience de grimpe "traditionnelle", notamment sur les falaises marines de la côte sud anglaise. Il a envisagé de fabriquer des pitons en acier inoxydable destinés à rester en place dans les voies. Après recherches et essais intensifs, il a envoyé au BMC le rapport suivant :

"Il y a des normes européennes et UIAA pour les pitons. Elles définissent la résistance requise pour un piton en tant que pièce de métal, mais ne disent rien sur la solidité du placement du piton, même de conception robuste, dans le rocher. Peu de recherches semblent avoir été faites sur la tenue des pitons. J’ai donc décidé de réaliser mes propres tests.
Certains ont été effectués par simple traction dans l’axe du piton planté dans une fissure verticale de calcaire tendre. C’est proche du pire placement imaginable.
D’autres ont été réalisés en tirant vers le bas un piton planté dans une fissure horizontale de granit dur. C’est ce qu’on peut imaginer de mieux comme placement.
Les résultats varient d’un inquiétant 200 kgf à un très rassurant 3140 kgf. Les deux facteurs principaux, quant à la tenue du piton, sont le matériau utilisé, et la conception mécanique du piton.

Pitons en acier doux ou "mi-dur"

Peu ou très peu performants, même neufs, et rouillent vite. Ils tiennent mal à la traction directe, et également à la traction vers le bas dans une fissure horizontale, en premier lieu parce qu’il est impossible de les taper davantage avant qu’ils commencent à se déformer.
Le meilleur résultat était 1080 kgf (lame d’épaisseur 4 mm) avant que l’oeilleton casse, et le pire 200 kgf avec un modèle de piton lame (épaisseur 5 mm) qui est sorti alors que nous commencions juste à le mettre en charge. Ce modèle de piton a encore aggravé son cas en ne tenant en moyenne que 340 kgf lors de trois essais avec la configuration la plus favorable (traction vers le bas, fissure horizontale en granit). En effet, le fabricant l’a galvanisé pour le protéger contre la corrosion, en négligeant peut-être les propriétés lubrifiantes du zinc. En fait un peu de rouille n’est pas mauvais, car le coefficient de frottement dans le granit d’un piton légèrement rouillé est 20% supérieur à celui du même piton sans rouille.
Divers modèles de lames normales de 5 et 6 mm d’épaisseur ont en moyenne tenu 680 kgf dans les deux configurations d’essai, leur manque de rigidité les faisant plier et sortir facilement.

Pitons en acier au chrome-molybdène

Les meilleures performances, mais des fissures de fatigue peuvent apparaître spontanément après plusieurs années de service, particulièrement dans les cornières de type "profil en V". [Note du traducteur : ces pitons en acier dur doivent en outre être régulièrement refrappés, car au fil des mois les variations de température provoquent des variations de dilatation de l’acier qui font "bouger" le piton et réduisent sa tenue, au point de pouvoir l’enlever à la main parfois !]
Des générations de grimpeurs ont confié leur vie aux meilleurs de ces pitons, et un modèle de lame "Lost Arrow" épaisse (8 mm) planté jusqu’à l’oeil dans une fissure horizontale de solide granit est certainement une bonne chose : il est sorti seulement quand le rocher a commencé à se désagréger, en moyenne à 3140 kgf. Dans les tests de traction directe, il a donné aussi de bons résultats, jusqu’à 1900 kgf lorsque la fissure a éclaté, et il aurait certainement été bien meilleur dans du rocher plus solide.
Un modèle de cornière à profil en V (largeur 1,6 cm) a tenu jusqu’à 3080 kgf, ce qui m’a surpris, bien qu’il ait eu si mauvaise mine après cela qu’on n’a pas pu le retester ensuite. Par contre dans le rocher tendre sa tenue a été relativement mauvaise (1080 kgf) car il tendait à couper le calcaire à cause de la faible épaisseur d’acier en contact avec le rocher.
Un modèle de type "knife blade" (épaisseur 3 mm), plutôt court et large comparé aux formes actuellement disponibles sur le marché, a fourni une bonne surprise malgré sa petite taille, avec 1230 kgf en traction directe et 1380 kgf dans la fissure horizontale.

Pitons en acier inoxydable

Bonne tenue, presque aussi bonne qu’avec l’acier au chrome-molybdène. Mes lames de géométrie conventionnelle (6 mm d’épaisseur) mais en acier AISI 316 ont tenu 1340 kgf en traction directe, mais elles s’écrasent sous les coups de marteau. La même forme mais avec un acier inox spécialement durci a tenu jusqu’à 1680 kgf parce qu’on pouvait la frapper davantage. Les deux modèles se sont bien comportés dans la fissure horizontale, 2430 kgf pour l’acier 316, et 2680 kgf pour la version durcie. En bord de mer, les pitons en inox peuvent souffrir de fissuration par corrosion sous contrainte : avec l’alliage adéquat, ce problème peut être résolu, mais à un coût élevé (30 000 euros la tonne).

Pitons en titane

Très variables selon l’alliage utilisé, les performances ont été similaires à celles de l’acier doux, ou jusqu’au niveau de l’acier inoxydable. Mais le prix reste prohibitif : rien que le matériau brut nécessaire pour un petit piton coûte déjà plus de 20 euros.

Dissipons quelques mythes à propos des pitons

Mythe 1 : les pitons en acier doux ou mi-dur sont pour les placements permanents. On devrait plutôt dire "les pitons en acier doux ou mi-dur vont rester en place" parce qu’ils sont presque impossibles à enlever au marteau une fois placés, et trop déformés pour être réutilisés.

Mythe 2 : les pitons en acier doux ou mi-dur épousent les contours de la fissure et tiennent mieux. Bien sûr qu’ils se déforment, mais cela ne les aide pas à tenir mieux. Une fois que la force de frottement est dépassée, il sortent avec très peu d’effort supplémentaire. Dans tous les tests ces pitons étaient constamment, et de loin, les plus mauvais, qu’ils soient déformés ou non. En résumé, ces pitons sont difficiles à enlever, mais presque toujours ils ont une faible résistance !

Mythe 3 : vous frappez un piton jusqu’à ce que son tintement cesse d’augmenter, et stoppez alors. Tous les pitons testés tintent différemment, les cornières émettant un joli son même quand elles ne sont pas dans une fissure. Arrêter de frapper prématurément, quand le tintement est à son apogée, a donné des pitons faciles à enlever - au point, parfois, de ne même pas supporter le poids initial de l’appareillage de test. Au contraire, la résistance maximum a été obtenue quand les pitons étaient "frappés à mort" : soit parce que nous n’étions pas assez forts pour les frapper davantage, soit parce qu’ils commençaient à trop se déformer.

Mythe 4 : le titane est léger, solide et résistant à la corrosion. En fait le titane pur est assez mou et sa résistance à la traction est plutôt faible (moitié de celle d’un acier ordinaire). Divers alliages de titane donnent une résistance mécanique comparable à celle de l’acier inoxydable forgé à froid ou de l’acier au Chrome-Molybdène, mais ils sont sensibles à la corrosion marine (fissuration sous contraintes). Un alliage de titane adapté aux falaises en bord de mer existe, mais il est bien trop cher (plus de 300 000 euros la tonne en barre).

Pitons en place : sont-ils bons, ou non ?

Si vous grimpez depuis longtemps et avez une connaissance encyclopédique des différents fabricants de pitons, vous avez quelque chance d’identifier le piton que vous clippez. Sinon ce sera à la fortune du pot pour savoir s’il a été fabriqué à partir d’acier éliminé d’office par une compagnie automobile italienne, ou avec le meilleur acier que l’industrie anglaise peut produire. Simplement regarder la tête du piton donne peu d’information sur le reste : nous avons testé des pitons différents mais avec exactement la même tête et le même oeilleton, dans les mêmes conditions l’un tenait 1830 kgf, l’autre 420 kgf !
L’érosion du rocher est aussi un facteur important. Les fissures évoluent, à une vitesse inconnue certes, mais elles évoluent. Un des pitons de mes tests a été récupéré d’un relais de rappel en l’arrachant à la main ! Le gel est également un problème, soit parce qu’il tend à ouvrir davantage les fissures, soit parce qu’il tend à faire sortir le piton (variations thermiques), avec des cas avérés, tant aux USA que dans les Alpes, de pitons rendus branlants et peu solides par ce type de phénomène [NDT : d’où la nécessité de les refrapper périodiquement].

Conclusions relatives aux tests

Le résultat de fabriquer de beaux pitons résistants à la corrosion est que des grimpeurs pourraient leur faire aveuglément confiance, avec des conséquences potentiellement fatales.
Les grimpeurs des précédentes générations ne font pas confiance (à juste titre) aux pitons en place, rouillés ou non, et de toute façon ils ont généralement une saine aversion de la chute ! Il est plausible que la génération moderne de grimpeurs sportifs (ou de salle) ait tendance à considérer que "brillant" implique "solide", avec les conséquences qu’on imagine.
Un piton ne peut être considéré comme sûr, que le jour où il a été planté. Seul le grimpeur qui l’a planté peut donner une opinion sur la fiabilité de ce piton. Tout le reste est de la loterie.
Mon sentiment est que la mise sur le marché de pitons résistants à la corrosion, et destinés à rester en place de manière permanente, serait irresponsable. Il faut trouver d’autres solutions.

Le futur des pitons

La situation actuelle, consistant à laisser les pitons en place jusqu’à ce qu’ils soient cassés ou trop rouillés, sans possibilité de placement alternative, n’est évidemment pas la meilleure pour l’avenir. Il y a plusieurs possibilités.

Inspection régulière et remplacement. Peut-être le remplacement (par de l’acier au chrome-molybdène) sur une base, disons, annuelle rendrait les choses plus sûres, mais qui sera volontaire pour le faire, et comment Jo le Grimpeur saura que cela a été fait ?

Remplacer les pitons par des goujons ou scellements : c’est ce qui se fait dans une grande part de l’Europe, et sous certains aspects c’est la solution évidente. Dans les secteurs traditionnellement "sans spits" la majorité des grimpeurs sera néanmoins contre.

Placements taillés/améliorés pour coinceurs, ou lunules forées. Ce n’est pas différent du perçage pour placer des scellements : soit on utilise le rocher tel quel, soit on le modifie pour l’adapter à ses besoins. Difficilement compatible avec l’éthique traditionnelle britannique !

Enlever les pitons et ne pas les remplacer. Ce qui signifie : les voies deviennent sans pitons. Evidemment cela va augmenter la difficulté dans beaucoup de voies, ou même les rendre improtégeables. C’est de toute façon ce qui est en train de se produire, vu qu’on ne peut pas faire confiance aux vieux pitons en place dans les voies.

Retour à l’éthique où les pitons sont placés en tête ou en rappel, puis enlevés après l’ascension. Les voies seront à re-coter en conséquence, et évidemment les emplacements de pitonnage seront dégradés au fil des années et peut-être même inutilisables. Le dépitonnage créatif pour fabriquer un emplacement pour coinceur n’est pas différent du forage, mais seulement plus lent." (Fin du rapport).

Point de vue du Comité Technique du BMC

Les résultats et conclusions du rapport ci-dessus sont le fait de James Titt, et les résultats des tests n’ont pas été vérifiés par notre comité, mais il est évident que beaucoup de travail et de réflexion ont été nécessaires pour ce rapport. On ne peut contester des conclusions basées sur les résultats des tests. Beaucoup de grimpeurs espéraient qu’un fabricant produise des pitons en acier inoxydable. Ce rapport rend la chose extrêmement improbable, et soulève le dilemme de ce que nous devons faire dans le futur au sujet des pitons. C’est un problème que l’ensemble des grimpeurs devra résoudre, avec potentiellement des différences d’opinion entre différents lieux de grimpe.
L’opinion du Comité Technique, basée sur de précédents travaux et sur ce rapport, est que les pitons devraient être considérés comme protection placée par le leader, de la même manière que les coinceurs câblés ou à cames. En d’autres termes, seule la personne plaçant le piton peut avoir une idée de la sécurité qu’il procure. Evidemment il faut de l’expérience et du jugement pour que cette idée soit fiable. On ne devrait pas faire confiance aux pitons en tant que placements à demeure, à cause de leur résistance trop variable, et de leur manque inhérent de fiabilité. Là où l’éthique l’autorise, seuls les points forés (goujons/scellements) ou les chaînes sont adaptés comme ancrages permanents.
L’avis du Comité Technique est aussi qu’il ne serait pas sage, de la part du BMC, de fournir des pitons utilisés comme ancrages, ceci pour les raisons évoquées ci-dessus.

Traduction (résumée) par Hervé Galley, mai 2012.
Titre original de l’article : Is there a future for pegs in British climbing ?


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